Ces matins-là qui reviennent
On les avait bien rangés
Les souvenirs, ces persiennes
Qui laissent le coeur perler
Eloignés bruit et fureur
Pour la tendresse et les lueurs
Ton visage dans la lumière
Et moi je ne touche plus terre
Ces matins-là qui reviennent
On les avait bien rangés
Les souvenirs, ces persiennes
Qui laissent le coeur perler
Eloignés bruit et fureur
Pour la tendresse et les lueurs
Ton visage dans la lumière
Et moi je ne touche plus terre
Puis la nuit arriva. Sur la ville. Sur son coeur. Ne miroitait que la lune, en kaleïdoscope de son espoir explosé. Tu sais que je serai toujours là, même quand ton sang aura rouillé dans tes veines, semblait-elle dire.
Son image était brouillée comme un tableau fauviste, éparpillée comme les gouttes qui perlaient su la fenêtre de toit.
Tu as eu tort de croire aux étoiles, reprit doucement la lune dans sa tête. Elles ne brillent que quand le ciel est dégagé. Elles se repaissent de clarté.
Les bras de la rivière
S’écartent et se séparent
Comme la croûte terrestre en flammes
L’amour charrié comme une pierre
Par le fleuve furieux
Une oriflamme déchirée
Un jour son lit sera calme
Un jour il sera la mer
Rosée fumante de novembre
Monceaux de feuilles en cendres
Le mordoré du ciel
Couve les cimes vermeilles
Et mon coeur qui s’endort
Au creux d’un arbre mort
Le ressac
Sur la mer éventrée
L’eau inlassablement
S’use à remonter
Les souvenirs comme les vagues
Qui débordent d’écume
Comme les larmes s’épuisent
Ruissellent les rancunes
Je n’oublierai jamais
La lumière de mai
Les sentiers de Corrèze
Et le bout du chemin
Debout tu m’attendais
Moulin-Haut
Les lambeaux
Avant la pluie
L’espoir, avant la folie
Et l’acide de tes mots
Qu’il pleuve et qu’il vente
Au diable l’eau stagnante
Qu’emporte la marée
Ce nuage éclaté
Qu’il pleuve et qu’il tonne
Dans mon coeur essoré
Mes espoirs éventés
Je ne suis pas ton ectoplasme
Je ne suis pas ton cataplasme
Ni un drap blanc
Comme un écran de cinéma
Où tu projettes tes rêves sans mes sentiments
Et ta lumière sans mon ombre
C’est vrai que les coeurs solitaires
Souvent ne savent que se taire
C’est vrai qu’il faut accepter
Parfois de lancer ses filets
Sans rien espérer remonter
C’est vrai qu’il en faut du courage
Pour sortir la tête du mirage
Mon marin démâté
A la mèche sur l’oeil
Et l’exil dans le coeur
A l’assaut rugissant
Des déferlantes d’acier
Avec ses tripes salées
Ses rêves en bandoulière
Il repart à la mer
Sans avoir su nager
D’horizon et de vent
Il ne sait qu’espèrer
« Et toi, de quel sceau ton coeur est-il marqué ? » demanda-t-il, appuyé contre le rebord de la fenêtre. Dehors, le ciel hésitait entre rose et orange, bardé de nuages filandreux troué de nuées d’hirondelles.
« D’aucun, répondit-elle vivement, en repoussant sa frange sur son front. J’ai jeté un voile sur ses oreillettes, ce qui empêche toute tentative d’intrusion. »
« Mais pourquoi parles-tu d’une intrusion ?, s’exclama-t-il. C’est un voyage, où tu ouvres grand les portes et où le vent s’engouffre. Non ? »
« Dans mon monde, on parle d’une bataille, rétorqua-t-elle en lui saisissant l’avant-bras. Regarde : tu vois le bas de mon épaule droite ? »
Il ne voyait rien que son épaule bronzée, légèrement dépigmentée par endroits comme le sont les peaux mates. Il essaya de capter son regard, mais il était devenu sombre et aqueux comme le fond d’un puits.
« Il y a trois ans, tu vois, j’ai embarqué pour un voyage, comme tu dis, reprit-elle dans un souffle. J’ai ouvert toutes les portes, les vannes, ce que tu veux, laissé s’engouffrer le vent, les nuages, le soleil et même la pluie. Je virevoltais et je me croyais partie pour longtemps. Puis le voyage, comme tu l’appelles, s’est arrêté comme il avait commencé. J’étais partie tellement loin… Mais on me reprenait le ticket des mains. J’ai compris qu’il ne s’agissait pas d’un voyage, mais d’une bataille que j’avais perdue. J’étais partie avec une valise légère alors qu’il m’aurait fallu un fusil pour me protéger. J’en suis rentrée mutilée, comme si on m’avait coupé le bras net, juste en dessous de l’épaule. »
« Mais tu n’en gardes aucune trace », souffla-t-il.
« Si tu ne te fies qu’à ce que tu vois, tu n’as pas fini d’être un imbécile. » Elle ferma sèchement la fenêtre.