« Et toi, de quel sceau ton coeur est-il marqué ? » demanda-t-il, appuyé contre le rebord de la fenêtre. Dehors, le ciel hésitait entre rose et orange, bardé de nuages filandreux troué de nuées d’hirondelles.
« D’aucun, répondit-elle vivement, en repoussant sa frange sur son front. J’ai jeté un voile sur ses oreillettes, ce qui empêche toute tentative d’intrusion. »
« Mais pourquoi parles-tu d’une intrusion ?, s’exclama-t-il. C’est un voyage, où tu ouvres grand les portes et où le vent s’engouffre. Non ? »
« Dans mon monde, on parle d’une bataille, rétorqua-t-elle en lui saisissant l’avant-bras. Regarde : tu vois le bas de mon épaule droite ? »
Il ne voyait rien que son épaule bronzée, légèrement dépigmentée par endroits comme le sont les peaux mates. Il essaya de capter son regard, mais il était devenu sombre et aqueux comme le fond d’un puits.
« Il y a trois ans, tu vois, j’ai embarqué pour un voyage, comme tu dis, reprit-elle dans un souffle. J’ai ouvert toutes les portes, les vannes, ce que tu veux, laissé s’engouffrer le vent, les nuages, le soleil et même la pluie. Je virevoltais et je me croyais partie pour longtemps. Puis le voyage, comme tu l’appelles, s’est arrêté comme il avait commencé. J’étais partie tellement loin… Mais on me reprenait le ticket des mains. J’ai compris qu’il ne s’agissait pas d’un voyage, mais d’une bataille que j’avais perdue. J’étais partie avec une valise légère alors qu’il m’aurait fallu un fusil pour me protéger. J’en suis rentrée mutilée, comme si on m’avait coupé le bras net, juste en dessous de l’épaule. »
« Mais tu n’en gardes aucune trace », souffla-t-il.
« Si tu ne te fies qu’à ce que tu vois, tu n’as pas fini d’être un imbécile. » Elle ferma sèchement la fenêtre.